Des manifestations interdites puis empêchées dans la capitale, la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) divisée un mois après sa création : le régime algérien n’a pas ménagé ses efforts pour entraver le mouvement de protestation né en Tunisie et qui s’est propagé en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Il a rapidement pris la mesure de l’ampleur de ces « révolutions » et a fait des concessions, dont la plus importante est la levée de l’état d’urgence en vigueur depuis 1992. Ces compromis ne seraient que les prémices d’un plan mis en place par les militaires après la chute de M. Ben Ali. C’est ce que révèle une source proche des services de sécurité algériens qui explique le positionnement actuel des autorités.
Tous les journalistes qui en ont fait la demande ont été accrédités par le ministère de l’intérieur et autorisés à couvrir les marches organisées par la CNCD, dont la première s’est tenue le 12 février dernier. Les médias algériens et étrangers avaient alors attiré l’attention sur le dispositif policier démesuré mis en place pour bloquer les marcheurs. Avec plus de 30 000 policiers pour 3000 manifestants, les organisateurs et les observateurs y avaient vu la preuve que la peur avait changé de camp.
ette conclusion mérite d’être relativisée, si l’on en croit notre informateur. Pour ce dernier, « les gouvernants ne redoutent aucune révolution. Ils sont confiants car ils savent que la police algérienne est plus professionnelle que les polices tunisienne et égyptienne. Ces manifestations sont maîtrisées à 100 %. » Il ajoute : « La CNCD est infiltrée et certains de ses membres ont été achetés. »
On s’étonne alors que le ministère de l’intérieur ait interdit un événement sous contrôle et arrêté certains des organisateurs. « Le pouvoir ne veut pas que la situation lui échappe, répond-il. La police est donc sommée de se préparer à tout. Maintenant, nous travaillons comme les Anglo-Saxons qui prônent “la gestion avec les résultats”. C’est pour cela que nous avons choisi d’attaquer la CNCD par le “fond”, en l’infiltrant, et non par la violence. Même les bombes lacrymogènes qui ont été acquises au Brésil pour l’occasion sont moins dangereuses que ce que la police utilisait dans le passé. »
Pourquoi avoir accrédité les journalistes étrangers ? La clef de l’énigme illustre la volonté du régime de soigner sa réputation : « L’image était choisie : une manifestation est interdite et les forces de l’ordre viennent faire respecter la loi. Il était important que les médias étrangers montrent qu’on ne réprime plus en Algérie comme on le fait en Tunisie ou en Egypte. »
Le jeudi 24 février, le chef de l’Etat algérien a ordonné la levée de l’état d’urgence instauré en 1992. Il satisfait ainsi la revendication principale de la CNCD. « La levée de l’état d’urgence, confie la même source, est déjà en partie effective. Par exemple, on ne peut plus mener des interpellations comme dans les années 1990 en embarquant des gens sans en aviser qui que ce soit. La main noire de l’Etat s’est retirée et nous sommes de plus en plus soumis à la justice. » Et pour ce qui est de la partie du dispositif encore en vigueur, « il lui sera mis un terme sur le papier seulement. Jamais la levée de l’état d’urgence ne sera totale ! »
D’autres « concessions » ont été prévues. Si les tensions sociales persistent, « ce sera Ahmed Ouyahia, le premier ministre, qui sera sacrifié. D’ailleurs, on a commencé à le marginaliser au sein du gouvernement. » Et comme cela ne suffira pas, « d’autres plans sont déjà prêts. C’est comme dans le foot, quand l’équipe A ne peut plus jouer, on envoie l’équipe B. Le nouveau gouvernement, déjà désigné, sera à l’image de l’administration tunisienne actuelle : il comptera des noms de divers horizons, même des partis de l’opposition. » Ce qui n’implique cependant pas un changement de régime. « Si la rue maintient la pression, ils sont prêts à sacrifier Bouteflika et à mettre quelqu’un d’autre à sa place ».
« Ils », ce sont les fameux « clans » qui « se partagent l’Algérie comme un gâteau ». « Il y a le clan du général Toufik (1), soutenu par trois autres généraux, et le clan de Bouteflika qui a promu au grade de général des militaires issus de sa région natale ». Cette lutte des clans est à l’origine de la révélation de plusieurs affaires de corruption touchant des personnalités haut-placées, et de l’assassinat du colonel Ali Tounsi, directeur général de la Sûreté nationale, il y a un an.
Si, dans le passé, les rivalités claniques s’exprimaient dans la rue, cela ne se produit plus désormais. « Ils fonctionnent tous d’après la règle de “celui qui se fait prendre s’en va” (2). La discrétion est de rigueur. Par ailleurs, le partage du gâteau ne se fait plus en se servant directement dans la caisse, mais en profitant des dessous-de-table et des commissions acquises dans la distribution des marchés publics aux entreprises étrangères. C’est ce qui explique la domination des Chinois sur le marché algérien. Ceux-là “mangent et font manger”, alors que de nombreux bureaux d’études allemands ont préféré quitter l’Algérie parce qu’ils refusaient de les “nourrir”. » Les retards de livraison des marchés, à l’image du métro d’Alger, dont les travaux ont commencé en 1983, ne seraient donc pas dus à des problèmes techniques : « Les chantiers sont livrés tranche par tranche car cela permet de multiplier les interlocuteurs et donc d’empocher plus. »
Cela dit, la corruption en Algérie n’aurait permis à personne de s’enrichir autant que les dirigeants tunisiens et égyptiens, dont les fortunes sont évaluées à plusieurs milliards de dollars. « En Algérie, les fortunes des tous ceux qui dirigent ne seraient que de quelques millions de dollars par personne. » Des sommes généralement placées dans les pays européens. « Mais depuis que les Occidentaux ont décidé le gel des avoirs des Ben Ali et des Moubarak, ainsi que de leurs proches, les fortunes des dirigeants algériens en Europe sont en train d’être déplacées vers les pays du Golfe. »
Notre source tempère : « La logique clanique est en voie de disparition en Algérie. La plupart de ceux qui composaient les clans des années 1980 et 1990 se sont retirés du pouvoir et sont devenus des hommes d’affaires. »
En Egypte et en Tunisie, l’armée n’est pas intervenue pour mettre fin à la révolution ; elle a au contraire facilité son avènement. Or, en Algérie, tout le monde est convaincu qu’elle empêcherait un changement de régime. Car les véritables dirigeants sont des généraux et le président Abdelaziz Bouteflika s’est autoproclamé ministre de la défense nationale. Notre source assure pourtant que « l’armée ne réagira pas contre le peuple. Son rôle est désormais limité à la lutte antiterroriste. De plus, contrairement à la Tunisie et à l’Egypte, l’Algérie a décentralisé l’autorité militaire. Il y a cinq régions militaires et chaque responsable se débrouille tout seul. »
Le changement espéré par le peuple algérien serait donc loin. Les véritables décideurs auraient déjà tous établi des plans « qui ne mettent pas en danger la population ». « Mais le régime compte désormais des diplômés qui partagent les aspirations du peuple. Si ces civils n’ont pas le poids suffisant pour faire basculer le pouvoir, ils pourraient profiter de ce moment pour imposer un virage politique positif dans la gestion du pays. »
Amel B.
(1) Le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), les services secrets dirigés par le général Mohamed Mediène, dit Toufik, depuis 1990.
(2) Cette règle intitulée en arabe algérien « Lli ttah, rrah » (litt. « Qui tombe est perdu ») a déjà été appliquée au général Mohammed Betchine qui a subi, en 1998, une campagne virulente de dénonciations pour corruption. Le but était de faire démissionner le chef de l’Etat de l’époque, le général Liamine Zeroual, dont il était le conseiller. L’ex-milliardaire Moumen Rafik Khalifa a aussi fait l’expérience de la même règle.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire