dimanche 26 février 2012

L'armée ne veut plus e^tre appelée "Grande Muette"

Et les contrevenants,il risquent quoi? Le ministère de la Défense nationale (MDN) a indiqué vendredi qu’il serait plus judicieux de nommer l’Armée Nationale Populaire (ANP) par son nom, même quand il s’agit de lui adresser des critiques, estimant que l’expression de « Grande muette », formule utilisée par les médias pour parler de l’institution militaire, ouverte aux médias et aux citoyens, « ne convient point ». « Il serait plus judicieux, notamment pour ceux ayant du respect et de la considération envers cette institution républicaine qui s’est distinguée et tient à demeurer aux côtés du citoyen algérien dans toutes les circonstances, de nommer l’Armée Nationale Populaire par son nom, même quand il s’agit de lui adresser des critiques », écrit le MDN dans une lettre aux médias algériens.Rappelant que l’ANP est la « digne héritière de la glorieuse Armée de libération nationale (ALN), laquelle a payé un lourd tribu pour le recouvrement de la souveraineté nationale, l’indépendance du pays et l’édification d’un Etat fort et moderne », le ministère souligne que l’expression « Grande muette » est inconvenante et qu’elle est en contradiction avec la réalité de l’ANP. « Certains journalistes algériens, par volonté de se distinguer ou par insouciance de lexique, emploient, parfois, cette formule pour parler de l’Armée Nationale Populaire, qui n’a, pourtant, rien d’une +Grande muette+ », lit-on également dans la lettre. La grande ouverture aux médias et aux citoyens, entreprise par l’institution militaire, dans le cadre de sa modernisation, en oeuvrant continuellement à consolider les liens de confiance, de solidarité et de cohésion entre l’ANP et les citoyens est, à ce titre, une preuve de l’ouverture de l’ANP, est-il relevé. La médiatisation de l’ensemble des activités de l’ANP, la publication de communiqués et de mises au point, quand la situation l’exige, la diffusion de reportages sur les différentes composantes et activités de l’ANP, mais aussi l’organisation de portes ouvertes et de journées d’information, où le citoyen peut s’enquérir de près des structures relevant de l’ANP, ses personnels et son matériel, dans la limite de la loi, consacrent la consolidation des liens de confiance, de solidarité et de cohésion entre cette institution et les citoyens, précise la même source. Rappelant également que jusqu’à la fin de la 2ème guerre mondiale, les armées de plusieurs pays étaient privées du droit de vote et d’expression, le MDN a relevé que c’est dans ces conditions d’ »isolement » et de « manque de communication vis-à-vis de la société » qu’est apparu, dans le langage des médias, le qualificatif de « Grande muette ». « Après cette date, le monde a subi de profondes mutations et les militaires recouvrent leur droit de vote et d’expression », ajoute la même source, constatant que la formule « Grande muette » demeurait toujours reprise par certains médias alors qu’elle « devait perdre sa raison d’être ». (APS)

samedi 25 février 2012

Yasmina Khadra et sa double inculture

On apprend avec étonnement à la lecture d'un entretien du journal El Watan avec l'écrivain Yasmina Khadra que ce dernier serait doté d'une "double culture occidentale et arabo-berbère".Tiens donc!A mon humble connaissance,Y.Khadra est né en Algérie,a fait presque toutes ses études en Algérie,et a effectué une longue carrière d'officier de l'Armée algérienne.En plus bien sûr d'avoir vécu la plus grande partie de sa vie en Algérie,du moins jusqu'à ce qu'il soit nommé directeur du CCA à Paris dans les années 2000.Je ne vois donc pas d'où lui serait venue cette prétendue "double culture". Plus loin,Y.Khadra déclare à son intervieweur "Il y a une démission de la part des intellectuels africains lorsqu’il s’agit des problèmes de leur continent".Il s'agit clairement d'un jugement d'ensemble qui nécessite bien sûr d'être examiné au cas par cas pour voir s'il est vrai.Mais ce qui est franchement ahurissant c'est l'explication donnée par notre écrivain à cette supposée réalité:"Cette démission est forcée car, en Occident, on ne s’intéresse pas à ce genre d’écrits".Il y a démission parce qu'en Occident,ce n'est pas intéressant de parler des problèmes de l'Afrique!Comme si,pour s'engager en faveur des problèmes des sociétés dont ces intellectuels sont issus,il faut d'abord "intéresser" l'occident à ces problèmes.On comprend maintenant pourquoi Y.Khadra s'acharne depuis si longtemps à obtenir enfin une reconnaissance de la part des différents jurys des prix littéraires français(qu'il n'arrive toujours pas à obtenir à part un ou deux prix secondaires qui n'arrivent manifestement pas à satisfaire son ego démesuré).Il a tant besoin de cette "reconnaissance" de la part de l'Homme Blanc pour qu'il puisse continuer à "s'engager" .

mercredi 22 février 2012

N. Boukrouh avant et après

Dans une nouvelle contribution publiée dans les colonnes du Soir d'Algérie(19 février 2012) sous le titre très nostalgique de "Avant et aujourd'hui",Noureddine Boukrouh nous prédit péremptoirement que les partis islamistes arrivés au pouvoir par le biais des urnes dans plusieures pays arabes ne parviendront pas à rééditer les performances économiques de l'AKP turc.Il est encore trop tôt pour savoir si le parti Ennahda en Tunisie ou encore les Frères musulmans en Egypte passeront avec succès le "test" de la gestion des affaires de leurs pays respectifs,mais ce qui est certain,c'est que même dans le cas tout à fait envisageable d'un échec de leur gestion, ce ne sera sûrement pas pour les raisons avancées par l'auteur.Pour lui,le succès de l'AKP tient à deux raisons :"la laïcité inscrite dans la Constitution, et les pré-requis nécessités par la perspective d’intégrer l’Union européenne".Pour ce qui est de la laicité,puisque cette dernière constitue en quelque sorte un condition sine qua non,pour la réussite de tout programme économique,pourquoi les partis traditionnels turcs nourris à la mammelle du kemalisme n'ont pas réussi pendant près de 80 ans de gestion directe des affaires de la Turquie à réaliser les prouesses que l'AKP a accompli en douze de pouvoir seulement?Pourquoi a-t-il fallu que ce soit paradoxalement un parti d'obédience islamiste qui "montre" les bienfaits de la laicité kemaliste?C'est comme si on affirmait que le succès d'un parti marxiste était dû à ...l'idéologie libérale!Quant aux "prérequis de l'adhésion à l'UE" qu'il présente comme une des raisons de la longévité de l'AKP au pouvoir,c'est effectivement le cas,mais pas dans le sens que N.Boukrouh le croit:Elle a permis d'éloigner le spectre du coup d'Etat militaire,une "constante" du système kemaliste et dont avait déjà été victime le Refah de Necmettin Erbakan,l'ancêtre de l'AKP en 1997.La perspective de l'adhésion à l'UE a permis l'AKP(surtout au début de son règne) de poursuivre une politique de démantèlement de l'héritage kemalien,une politique qu'il n'aurait jamais pu mener à bout si l'hypothèque de l'intervention de l'armée n'avait pas été préalablement levée.La politique menée par l'AKP ne s'est donc pas faite conformément au système kemalien,comme voudrait nous le faire croire N. Boukrouh,mais à son détriment. Passant ensuite à l'Algérie,l'auteur croit trouver dans l'Histoire récente du pays une période similaire au contexte turc actuel:"En opérant un recul dans l’histoire, on remarque que ces deux contraintes étaient présentes dans l’Algérie coloniale".On savait bien que certains historiens français étaient des nostalgiques de la période coloniale,mais on ne savait pas que certains intellectuels algériens l'étaient aussi!Mais laissons N.Boukrouh poursuivre son raisonnement aussi choquant soit-il pour voir où il veut en venir:"Au sein du Mouvement national qui s’était formé pour combattre le colonialisme, il y avait une composante islamique, l’Association des oulémas algériens. Invoquant le principe de la séparation du culte et de l’Etat, elle a revendiqué pendant des décennies son application au culte musulman afin d’en prendre la charge[...]Vivant sous le régime de la laïcité qu’ils voulaient tourner à leur avantage, les oulémas accomplissaient leur mission sociale et éducative ".Bon,au début,les Ulemas ont revendiqué pendant des décennies l'application de la séparation du culte et de l'Etat(ce qui signifie que cette séparation n'existait pas),mais deux lignes plus loin,et comme par enchantement,il nous dit que les Ulémas "vivaient sous le régime de la laicité"!Le fait est que la loi de 1905 instaurant la séparation en France de l'Etat et du culte n'a jamais été élargi à l'islam et que les ulemas n'ont jamais pu obtenir gain de cause sur la question.Il n'est donc pas vrai que les ulémas ont vécu sous le régime de la laicité et l'ont tourné à leur avantage comme le prétend l'auteur.Suivra ensuite une description longue et idyllique de la société "indigène" du temps de la colonisation.On a presque envie de se "téléporter" immédiatement vers cette époque bénie.On en oublierait presque les 90% d'analphabetes,l'espérance de vie très basse,la misère et ses corollaires,la gale,les poux etc...Poursuivant son "procès à charge" contre les islamistes,il évoque les affrontements entre juifs et musulmans qui eurent lieu en 1934 à Constantine:"Le 5 août 1934, des affrontements d’une grande violence éclatent entre Algériens et juifs à Constantine où un Israélite éméché avait uriné contre le mur d’une mosquée, avant de s’étendre à d’autres villes. Ils se solderont par une vingtaine de morts de part et d’autre. Les oulémas, Ben Badis en tête, ont déployé pendant ces évènements toute leur énergie pour les faire cesser. Bennabi, qui se trouvait à Tébessa, apporte dans ses Mémoires ce témoignage : «Nous nous opposâmes à Tébessa à ce que la minorité juive subisse le moindre dommage. La nuit, nous faisions même une garde sous le balcon d’un certain Moraly que nous pensions être le plus susceptible d’attirer une vendetta. L’imam de la ville fut sublime, rassurant jusqu’à sa porte un malheureux juif attaqué par un voyou… Le cheikh Ben Badis fut durant ces pénibles évènements d’un grand courage et d’une parfaire dignité".avant de tirer la conclusion sous forme de question:"Quel savantissime cheikh, quelle figure intellectuelle arabe ou musulmane ferait aujourd’hui barrage de son corps pour protéger les chrétiens d’Égypte ou d’Irak ? Je n’ose pas parler de juifs".Et tout ça,c'est bien sûr la faute à l'islamisme.Pourtant,à la même époque(1934),une violente vague d'antisémitisme balaiera l'Europe,occasionnant le massacre de millions de juifs.Les islamistes y étaient-ils pour quelque chose?A cette époque,Martin Heidegger,considéré comme l'un des plus grands philosophes du 20e siècle sinon le plus grand était militant du Parti Nazi....Comme on le voit bien,ce n'est pas d'un coté les partisans de la Raison,des Lumières,de la paix et du progrès d'un coté,et les partisans de l'obscurantisme,de la régression et de la barbarie de l'autre,mais les choses sont beaucoup plus compliquées que ça.Il serait utile que M.Boukrouh lise "La Revolution française et la psychologie des révolutions"de Gustave Lebon pour qu'il se rende compte de lui-même que le délire mystique et la barbarie ne sont pas le propre des salafiste fanatiques et que le Règne de la Terreur durant la Révolution française s'est exercé au nom du ...Culte de la Raison.Plus près de nous,le grand ethnologue français Marcel Mauss écrivait :"Durkheim et après lui nous autres,nous sommes,je crois,les fondateurs de la théorie de l'autorité et de la représentation collective.Que de grandes sociétés modernes plus ou moins sorties du Moyen-Age d'ailleurs,puissent être suggestionnées comme des australiens le sont par leurs danses et mises en branle comme une ronde d'enfants,c'est une chose qu'au fond nous n'avons pas prévue.Ce retour au primitif n'avait pas été l'objet de nos reflexions.Nous nous contentions de quelques allusions aux états de foules,alors qu'il s'agissait de bien autre chose".Ces lignes saisissantes ont été écrites dans les années 1930 en pleine montée du nazisme et du fascisme,ce qui montre bien qu'on n'a pas les sociétés modernes et pacifiques d'un coté et les sociétés archaiques et barbare,mais qu'on peut parfaitement avoir une société qui est à la fois très moderne et avancée technologiquement et en même temps barbare.Juste après N.Boukrouh nous sert la théorie du "c'est la faute aux autre" quand il affirme que "L’islam maghrébin était ouvert, tolérant, civilisé, pacifique, jusqu’à l’arrivée de l’islamisme radical importé d’Égypte, du Pakistan et d’Afghanistan à partir des années 1970".Puis juste après:"De tous les pays arabo-musulmans, nous sommes celui qui a payé le plus lourd tribut à cette importation qui, mélangée au populisme et au nihilisme locaux a donné un islamisme de bas étage".D'un coté,les maghrébins sont tolérants,civilisés et pacifiques de l'autres ils sont nihilistes! Après une petite digressions sur les "tartarinades" d'Ahmadinejad,l'auteur retourne au point de départ de son étude:"L’islamisme arabe et l’islamisme turc ne se ressemblent que de loin. A ce que l’on sache, ce dernier n’a pas tué pour arriver au pouvoir ; il n’a pas divisé en deux son peuple ; il n’a pas clochardisé la Turquie, ni enlaidi et attristé sa vie. Il y est arrivé par les voies de la persuasion, de la légalité, de la démocratie et de la rationalité".Depuis quand les politiques,aussi bien en Turquie qu'en Suisse en ou en Suède arrivent au pouvoir par la persuasion et la rationalité?C'est par la rationalité que Sarkozy est allé "siphonner" les voix de l'extrême-droite en 2007 et qu'il s'apprête à appliquer la même tactque en 2012?C'est par la rationalité que G.W.Bush a été élu deux fois président des Etats-Unis grâce aux voix des secteurs les plus conservateurs et les plus religieux de l'électorat américain?Allant plus loin dans son pseudo-raisonnement,il affirme avec assurance que "la laïcité et le tutorat de l’armée l’ont servi plus qu’ils ne l’ont desservi" et que "l’islamisme n’a été qu’un juste retour des choses en considération de ce qu’a fait subir Mustapha Kemal à ce pays".Mais il ne dit pas en quoi le cas turc serait différent du cas tunisien par exemple qui a lui aussi subi près d'un demi-siècle de laicisation forcée sous Bourguiba et Ben Ali et en quoi la victoire du parti Ennahda ne serait pas elle aussi un "juste retour des choses"?Mais en fait,c'était quoi les "réformes" de Mustapha Kemal au juste?Laissons l'auteur lui-même nous les présenter en détail:"Entre 1921 et 1923, il commence par faire adopter par la Grande assemblée nationale une série de lois constitutionnelles disposant que «la base de l’Etat turc est la souveraineté du peuple» et la Turquie «une démocratie parlementaire». Hostile à l’abolition du califat, l’Assemblée lui propose de devenir calife, mais il refuse l’offre avec dédain. Le 3 mars 1924, il lui présente un projet de loi supprimant le califat et imposant la laïcité. Sous la menace des armes, les députés votent le texte. Ceux qui s’y sont opposés, même parmi ses anciens compagnons, ont été pendus ou fusillés. Ayant désormais les mains libres, il entreprend une tâche que peu d’hommes dans l’Histoire ont osée : changer l’âme d’un peuple, le couper de ses racines spirituelles et historiques, le vêtir d’une identité qui n’est pas la sienne, lui inculquer autoritairement des gestes et des habitudes étrangers à sa nature. Il abroge la législation ottomane inspirée de la chariâ et la remplace par le code civil suisse, le code pénal italien, et le code de commerce allemand. Il interdit sous peine d’emprisonnement l’usage des salutations islamiques (salamou alaïkoum) et toute expression de la culture arabe (littérature, poésie, musique, danse…). Il promulgue une loi assimilant le port du fez (tarbouche rouge) à un «attentat contre la sûreté de l’Etat», remplace le vendredi par dimanche comme jour de repos, et le calendrier arabe par le calendrier européen. Il fait fermer les mosquées, interdire les livres religieux, coupe toute relation avec les Arabes et se tourne complètement vers l’Occident. Il donne une année à la nation pour s’habituer à écrire en caractères latins la langue turque qui utilisait jusqu’alors les caractères arabes. Ces transformations radicales sans précédent furent menées en moins de quatre ans et se soldèrent par la mort de dizaines de milliers de récalcitrants".On ne voit pas très bien où se trouve la "persuasion,la légalité et la rationalité" tant chantés par le sieur Boukrouh dans ce chapelet de mesures(ou plutôt d'interdictions et d'injonctions),mais peut-être ne sont-ils valables que lorsqu'ils s'agit de dénigrer à tout va les islamistes?Poussant le grotesque plus loin,il assène que"Ataturk a sauvé la Turquie et en a fait une nation moderne, libre et souveraine".Il l'a rendue libre et souveraine en forçant ses député à adopter ses "réformes" sous la menace des armes et en massacrant des dizaines de milliers de "récalcitrants"(de simples musulmans attachés à leur foi)?N.Boukrouh écrit lui-même qu'Ataturk "s’est essayé à quelque chose d’irréalisable : on ne change pas de force l’âme d’un peuple ; une âme n’est pas un organe qu’on peut remplacer par un autre".Comment peut-il s'essayer à quelque chose d'irréalisable(changer de force l'âme d'un peuple)et être à l'origine du succès d'un parti qui s'est justement atellé à défaire ce que le kemalisme a érigé pendant huit décennies de règne sans partage?

mardi 7 février 2012

"Toutes les civilisations ne se valent pas":Regard croisé entre la France et l'Amérique

Le ministre de l'intérieur français vient de nous apprendre que "Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique".On n'a pas besoin d'être un expert en politique intérieure franchouillarde pour comprendre que "les" civilisation visées c'est la civilisation islamique(celle qui accepte la tyrannie,la minorité des femmes etc..) et la civilisation occidentale(celle défendant bien sûr la liberté,l'égalité et la fraternité).Il serait donc intéressant de reproduire ici deux extraits de regards croisés entre la France et les USA publiés dans le sillage de la sulfureuse affaire DSK.Le premier est celui du philosophe français Pascal Bruckner et le second est celui de la correspondante à Paris du magazine américain Newsweek,Joan Juliet Buck.Commençons par celui de P.Bruckner:
L'Amérique du Nord, à l'évidence, a un problème avec le sexe qui vient de son héritage protestant mais elle veut en plus donner des leçons au monde entier. Laqualifier de puritaine ne suffit pas car c'est un puritanisme retors, d'après la révolution des mœurs, qui parle le langage de la liberté amoureuse et coexiste avec une industrie pornographique florissante. C'est très exactement un puritanisme lubrique : à quoi ont servi les affaires Clinton ou DSK ? A condamner l'érotisme pour mieux en parler, à se pourlécher des semaines, des mois durant de détails croquignolets, à évoquer la fellation, la semence, les organes génitaux avec une gourmandise faussement indignée. La jubilation obscène avec laquelle Kenneth Thompson a évoqué le vagin "agressé" de sa cliente Nafissatou Diallo est révélatrice à cet égard. Dira-t'on que dans le cas de Bill Clinton, c'est le mensonge qu'on a sanctionné plus que la passade avec la stagiaire de la Maison Blanche ? C'est évidemment faux puisque Georges Bush a menti sur les armes de destruction massive en Irak, supercherie infiniment plus grave, et n'a pas été inquiété pour cela. Eut-il couché avec son assistante, on l'eut immédiatement condamné aux galères, à la roue, au fouet. Mais les crimes de sang sont moins graves, apparemment, que les outrages conjugaux. [...]Il s'est passé en effet aux Etats-Unis un phénomène singulier qui n'a pas touché l'Europe : l'alliance du féminisme et de la droite républicaine, ultra conservatrice. Ces deux forces se sont unies, au nom d'intérêts différents, pour refermer le couvercle ouvert par les années 60-70. Voilà pourquoi tant d'intellectuelles féministes, telle une Joan Scott spécialisée dans le frenchbashing, sont devenues de purs et simples propagandistes du département d'Etat, chargées de promouvoirurbi et orbi l'American way of life. Cela explique l'ambiance de maccarthysme moral qui touche là-bas les choses de l'amour et dont les Américains les plus lucides s'alarment depuis longtemps. Dès le début des années 90, pour tout professeur étranger venant enseigner à l'université, de strictes consignes furent édictées : ne jamais recevoir une étudiante dans une pièce fermée à moins d'enregistrer la conversation, ne pas prendre l'ascenseur seul avec l'une d'elles et bien entendu ne pas entretenir une relation avec une femme de la faculté, même majeure et consentante, sous peine de renvoi immédiat. Les relations de travail dans les bureaux sont elles-mêmes assujetties à un certain nombre de règles : éviter les tenues trop seyantes, les conversations équivoques, les propos déplacés, s'engager à ne pas nouer de relations intimes entre collègues à moins de lesconclure par un mariage. On se souvient peut-être de cette université de l'Ohio qui avait tenté au début des années 90, appuyée par la principale organisation féministe de l'époque, de promulguer une charte réglementant l'acte intime entre étudiants : ceux-ci devaient en prévoir par écrit toutes les étapes jusqu'au moindre détail, toucher ou non les seins, enlever le corsage et faire enregistrer ce programme devant un responsable. La proposition, heureusement, ne fut pas retenue. Cette codification folle est le lot d'une société paniquée, dépourvue de toute culture amoureuse et qui veut imposer une police du désir à tous.
Et maintenant,celui de Joan Juliet Buck:
Anne Sinclair est trop influente et trop intelligente pour être une victime, mais son comportement irréprochable laisse perplexe des deux côtés de l'Atlantique. Sa meilleure amie, Elisabeth Badinter, a publiquement rejeté l'idée que la fidélité soit un élément important du mariage. N'empêche, commente une femme de la haute société française, "si elle voulait qu'il soit président, il fallait qu'elle le mette sous tranquillisants". Mais on ne peut comprendre Anne Sinclair sans tenir compte du fait que la France est une société très sexualisée, où même repousser des avances obéit à des règles et rituels. Les jeunes femmes savent jouer le jeu de ce que l'on appelle "la séduction*", les journalistes couchent avec des hommes importants parce que c'est marrant et parce que comme ça, disent-elles, les sources sont contentes. "Je me le suis fait", racontent beaucoup d'entre elles, "histoire de m'amuser un peu". Les Françaises savent comment repousser les avances en plaisantant ou en giflant de façon métaphorique. Le droit de cuissage*, ou droit de déflorer les vierges, était une prérogative des seigneurs et l'est toujours. Trousser une domestique a un nom en français : on parle d'amours ancillaires*. Ce qui s'est passé dans la suite 2008 a souvent provoqué la même hilarité que les pièces de Feydeau, où le maître besogne la servante entre deux portes pendant que sa maîtresse l'attend dans une chambre et son épouse dans une autre. [l'envers du décor, c'est que] seul l'homme prend du bon temps : dans les usines et les stations-service, les secrétaires font plaisir à leur patron pour garder leur travail. En France, les femmes n'ont pas eu le droit d'ouvrir un compte en banque avant 1943, ni de voter avant 1944. L'avortement a été légalisé en 1975, mais il a fallu pour cela que 343 femmes – dont Jeanne Moreau, Simone de Beauvoir et Catherine Deneuve – disent dans Le Nouvel observateur qu'elles y avaient eu recours. Leur texte a été baptisé Le Manifeste des 343 salopes. Le mot salope est souvent utilisé au lit par les hommes français pour exciter leur partenaire ou s'exciter eux-mêmes. Et aussi pour désigner ce que nous appelons aux Etats-Unis une pute.
En effet,toutes les civilisations ne se valent pas.Il en est qui sont plus trash que d'autres.